Danse du Léopard s’éveilla lors du crépuscule, après une sieste bien méritée. Afin de traverser ces geysers, zones asséchées et vastes dans lesquelles il était facile de se perdre, elle avait décidé de traverser ce territoire la nuit: le temps y était bien plus frais et supportable, et surtout, les étoiles et la pollution lumineuse de la ville qu’elle devait désormais atteindre, invisibles en plein jour, la guideraient vers sa destination. À vrai dire, le simple fait de penser qu’elle devrait, après avoir traversé ce fameux territoire de geysers, s’aventurer à l’intérieur d’une ville lui donnait envie de faire demi-tour. Malgré ses 37 lunes confirmées, la guérisseuse n’avait jamais vu une ville et ne s’était jamais vraiment approchée d’un monstre. Elle ne savait donc pas à quoi s’attendre, et la peur montant à sa gorge lui donnait la nausée. Cependant, elle se secoua la tête afin de chasser ces pensées et se dirigea vers son petit coin d’herbe, léchant la rosée du soir pour s’hydrater. Il était important de boire avant de s’aventurer dans ce territoire selon ce qu’elle avait entendu dire: l’eau y était présente - c’était la nature même de geysers - mais très chaude, et il était aussi facile et rapide de se brûler la langue que de dire « miaou ».

La guérisseuse avait encore un peu de temps avant que la lune et les étoiles ne se montrent plus clairement. En attendant, elle se mit à la recherche d’une proie. En cette saison, avec de la chance, on pouvait tomber sur de vieilles proies fatiguées ou des plus jeunes encore étourdies par leur long sommeil duquel elles étaient prématurément réveillées. Dans tous les cas, elles étaient souvent un peu grasse du à leurs réserves et plus facilement accessible à la chatte qui était aussi douée qu’un apprenti dans ce genre de tâche. Elle aurait pu être plus douée si elle avait été plus attentive aux petites leçons de chasse de Souvenir d’Aubépine, mais elle n’aimait pas ça. Elle se mettait trop souvent à la place du petit animal terrorisé qu’elle tenait entre ses pattes et le relâchait au grand désarroi de son mentor.
La chatte tachetée eut de la chance: un petit terrier de lapin se tenait non loin de la sortie de la grotte et il semblait occupé. Elle y faufila donc la tête pour y trouver une lapine et trois petits lapereaux. Quelle ne fut pas sa surprise! Des petits, à cette saison? Elle fut d’abord attendrie de voir ces quatre petites boules autour de leur mère - bien grasse - repensant à ses petits qui devaient sans doute, à cette heure, dormir en boule dans la pouponnière au creux du ventre d’une reine qui aurait accepté de les adopter. Mais, affamée, elle saisit un petit lapin entre ses crocs, délicatement, et le sorti de la tanière. Danse du Léopard s’en voulait tant d’avoir ôté ce petit à sa mère! Elle imaginait déjà un renard enlevant l’un de ses chatons devant ses yeux!
Perturbée, elle reposa la boule blanche tremblante devant ses pattes, la fixant d’un air soucieux.
Je sais! s’exclama-t-elle intérieurement Autant le garder vivant, la viande est pleine d’eau. Si j’ai soif en cours de route et que je me perd, je pourrais survivre à coup sûr!
Elle savait pertinemment que ce n’était qu’une excuse pour ne pas avoir à prendre la vie du petit lapereau, mais elle était contente d’en avoir trouvée une. La lumière de la ville était parfaitement visible désormais. Prenant le petit animal par la peau du cou, la guérisseuse se mit en route pour la traversée des geysers…

La route se passa d’abord très bien. Trop bien même… La lumière de la ville se rapprochait, et par chance, elle semblait calme. Les bipèdes ne devaient sans doute pas être nocturnes et devaient dormir comme d’autres animaux dans leur nid de pierre. Des récits rapportés des autres guerriers, la ville émettait un brouhaha bruyant à vous briser les oreilles et les moustaches. Mais ce ne fut pas l’immense repère de bipède qui fit un bruit à casser les oreilles pointues de la chatte - et du lapin étrangement renommé « Flocon ». Un puissant geyser surgit soudainement du sol, à quelques queues de renard des animaux. Le sol grondait sous ses pattes. Paniquée, Danse du Léopard lâcha Flocon et plaqua ses pattes sur ses oreilles, fermant les yeux comme pour effacer cet énorme jet d’eau de sa vie. Quelques secondes plus tard, le bruit avait cessé, mais lorsque la féline ouvrit les yeux, Flocon tremblait tant qu’il en vibrait presque. Intriguée et ne sachant que faire, la guérisseuse lui donna une petite tape du bout de la patte. Alors le lapereau se ramassa sur le flanc, se tordant en arrière, puis en avant, tordant sa tête dans des positions étranges avant de s’immobiliser, les yeux grands ouverts fixant le vide. Son coeur avait lâché. Déçue, elle l’emporta avec elle jusqu’aux abords de la ville afin de trouver un petit coin au calme dans un buisson, et de le dévorer. Ainsi allait la vie.