- « Des calendules. »
Jolie Pivoine avait murmuré ces deux mots tous simples qui désignaient des fleurs toutes simples. Ces mots s'étaient faufilés entre ses crocs clairs. Elle se les était murmurés à elle-même. Elle avait pris soin de ne pas les abîmer. Jolie Pivoine s'y connaissait, elle était délicate. Comme la plupart des guérisseurs. C'est un pré requis lorsqu'on manipule des plaies grosses comme sa tête ou des fleurs qui peuvent guérir une forêt entière d'une maladie horrible qui la ravage depuis trois lunes.

La jolie chatte tigrée attendait, comme tout le reste de la forêt, que les quatre chats partis à la recherche de cette fameuse plante reviennent avec un remède miraculeux. Elle commençait à perdre l'espoir de revoir Taches de Minuit un jour, mais ne disait rien de cela, agissait comme si tout allait pour le mieux. « L'espoir fait vivre», pensait-elle. Elle voulait que tous ceux qui étaient atteints de la maladie puissent vivre. Leur chef, Étoile du Loup, en particulier. Il avait perdu plusieurs de ses neuf vies dans son combat contre le virus et, même si elle n'osait pas lui demander combien il lui en restait réellement, elle sentait que la réserve de vies commençait à être épuisée. « Taches de Minuit, reviens, je t'en supplie. » Elle s'avança jusqu'à l'entrée de la tanière qu'elle partageait avec son apprentie et son ancienne mentor, glissa son délicat visage à l'extérieur. L'odeur des pommetiers et de leurs fruits lui chatouilla les narines. Cependant, elle qui espérait apercevoir la femelle bicolore à l'entrée du camp, elle fut bien déçue de constater qu'il n'y avait pas âme qui vive à l'extérieur.

Si c'était comme ça, elle se contenterait de soulager le plus possible les malades du clan de l'Ombre de leurs différents maux, dont le nombre augmentait de façon exponentielle au fil des jours. Pour chasser ses idées noires du genre « Ils vont tous mourir et ce sera par ma faute », la jeune guérisseuse décida de se concentrer sur son travail. Lorsqu'elle était capable de se concentrer sur quelque chose, elle devenait si absorbée par sa tâche qu'un monstre aurait pu passer à côté d'elle et elle n'aurait pas bronché.

Elle pensa à des calendules. De jolies fleurs composés d'un heureux dégradé d'orangé et de jaune, avec un centre sombre, de longs pétales fins et doux. Non seulement cette fleur était utilisée pour calmer les maux de gorge et aider à la cicatrisation, mais elle était surtout connue pour renforcer le système immunitaire. Elle pensa encore une fois à son chef.

- « Des calendules. des calendules. »

Elle ne dit pas un mot, tout le monde dormait encore dans la tanière. Silencieuse et agile, Jolie Pivoine se faufila à l'extérieur de son antre frais et sec. Dehors, tout était chaud et humide, un peu lourd. Brumeux. C'était toujours brumeux, sur les terres marécageuses de son clan. Il ne faisait pas encore clair dans le ciel et elle pouvait apercevoir quelques membres du clan des Étoiles qui s'amusaient dans ce qu'il restait de la toison argentée.

Elle marcha longtemps, traversa une bonne partie du territoire du clan de l'Ombre. Elle n'était peut-être jamais allée en patrouille ou à la chasse, mais elle était presque sûre de connaître le territoire mieux que n'importe quel guerrier du clan, tellement elle venait y chercher des remèdes souvent. Il y avait aussi une grande différence entre l'attention qu'elle portait au territoire et celle que la plupart des guerriers accordaient à ce dernier. Ils cherchaient des proies, marquaient les frontières. C'était tout. Jolie Pivoine, elle, était consciente de chaque parcelle de terre, de chaque feuille de chaque plante, comme si elle était à la recherche de trèfles à quatre feuilles.

La jeune femelle traversa le lugubre lieux qu'était l'arbre mort et, dans la nuit, seule, elle se permit de laisser paraître un petit frisson. Elle arriva finalement près du chemin du Tonnerre. Le sol, noir, humide et frais, sous ses pattes, semblait devenir plus clair, sablonneux, puis caillouteux. L'odeur artificielle du corridor de monstres lui parvint. Elle ne s'en approcha pas trop, laissa entre elle et cet immense sentier quelques buissons. Il y avait deux raisons. La première était évidente : elle ne voulait pas se faire bousculer par une de ces horribles bêtes. La deuxième raison en était une à laquelle n'importe quel guérisseur aurait tout de suite trouvé la réponse. Les plantes qui poussaient directement sur le bord du chemin du Tonnerre étaient parfois abîmées, mais surtout polluées par les excréments étranges des monstres. Aussi, en les ingérant, on ne devenait que plus malade encore.

Jolie Pivoine repéra vite une talle de fleurs orangées et sourit, satisfaite de la facilité avec laquelle elle avait déniché le remède. En les arrachant délicatement du sol, elle songea tranquillement : « Tout s'est bien passé, je vais rentrer au camp, tout le monde se portera un peu mieux après avoir bu une infusion de calendules. Tout s'est bien passé. Tout se passera bien. »

Les tremblements sous les pattes immenses d'un monstre.
Un cri strident d'enfant qu'on arrache à sa mère.

Jolie Pivoine accourut instantanément, ne remarqua même pas qu'elle marchait maintenant sur le chemin de la mort. Le monstre était déjà loin. Devant elle gisait un petit corps recroquevillé, une apprentie dont le pelage était imbibé d'une odeur de grands arbres. Elle reconnut sans difficulté cette odeur que portait aussi son amie Lune Éternelle, la guérisseuse du clan du Tonnerre.

- «Tout s'est bien passé. Tout se passera bien. »
Murmura-t-elle en approchant le museau du corps inerte, plus pour se rassurer elle-même que pour rassurer la novice qui ne l'entendait probablement pas.