Lune Embrasée quitta le camp, une expression insondable sur le museau, évitant soigneusement le regard de sa sœur, Perle de Jade, qui esquissa un mouvement dans sa direction. Cela faisait maintenant de nombreuses lunes que la féline rousse n'avait plus adressé la parole au dernier membre de sa famille qui lui restait. Depuis que Perle de Jade lui avait volé le mâle qu'elle convoitait, Lune Embrasée l'avait identifié comme une ennemie et ne comptait pas revenir sur son jugement. Elles étaient jeunes à cette époque, et Perle de Jade n'était finalement pas resté avec ce chat très longtemps, mais pour la rouquine, le mal était fait. Elle n'était plus tombée amoureuse et n'avait plus accordé sa confiance à qui que ce soit, fidèle à sa promesse. Elle avait également fait en sorte de ne plus avoir à parler à sa sœur, l'évitant à chaque fois qu'elle essayait de lui adresser la parole. Etant connue pour être une chatte très discrète, Lune Embrasée passait la plupart du temps inaperçue. Son conflit avec Perle de Jade n'avait jamais fait trop de remous, et elle évitait soigneusement de s'étendre sur le sujet. Elle n'avait de toute manière personne à qui en parler.

Ce jour-ci donc, la guerrière partit chasser, seule, comme à son habitude. Elle prenait bien évidemment part aux patrouilles, mais ne se faisait jamais remarquer lors de ces dernières. Outre son masque de chatte timide et effacée, elle n'aimait pas spécialement la compagnie. Au fond d'elle, elle craignait toujours que l'on découvre son terrible secret, que quelqu'un apprenne un jour que c'était sa faute si son père et son autre sœur, Nuage des Dahlias, étaient morts, des lunes dans le passé. Evidemment, Perle de Jade était aussi coupable qu'elle, et malgré leur différent, ce secret les lierait à jamais. Elles n'en avaient plus reparlé depuis toutes ces années, ayant, d'un accord tacite, mentit à tout le clan sur le décès de leur père et de leur sœur. Lune Embrasée regrettait tout ce qu'il s'était passé, ce n'était qu'un accident. Jamais elle n'avait voulu qu'ils meurent, elle voulait juste faire une bonne frayeur à Nuage des Dahlias pour se venger.

Pourquoi cette sotte était-elle aller sur le Chemin du Tonnerre ? La rouquine secoua la tête. Sa sieur n'était qu'une idiote, c'était de sa faute si elle était morte, pas la sienne. C'était du moins ce qu'elle se répétait en boucle depuis tout ce temps pour ignorer la culpabilité qui lui rongeait les entrailles. Perle de Jade souffrait-elle du même sentiment ? Elle n'en savait rien, et ne comptait pas lui poser la question. Elle s'était interrogé bons nombres de fois, mais avait gardé ses pensées pour elle, refusant d'affronter cette histoire encore une fois. Ce qui était fait était fait, il était impossible de revenir en arrière. A quoi bon regretter alors ? Lune Embrasée inspira un grand coup et huma l'air, chercha le fumet d'une proie. Elle avait marché plusieurs minutes, et se trouvait à présent aux Buissons. Au loin, elle entendait, comme un fracas étouffé, le rugissement du Chemin du Tonnerre. Elle se tassa sur elle-même, ses prunelles de jade observant les alentours avec attention. Elle repéra un mouvement furtif dans les taillis, celui d'un petit rongeur qui grignotait une graine, sans s'apercevoir du danger qui pesait sur lui. Sa queue fouettant l'air, Lune Embrasée se prépara à bondir.

Une nouvelle brise souffla alors dans sa direction, lui amenant une odeur étrangère qui l'alerta. La souris sembla sentir le même parfum, car elle redressa la tête et s'enfuit aussitôt, disparaissant entre les feuillages des buissons. La rouquine se redressa et fusilla les alentours du regard. Un intrus venait de lui faire perdre sa proie. Plus agacée qu'en colère, car Lune Embrasée ne perdait que rarement patience, elle humain de nouveau l'air, sentant cette fois avec davantage de précision. Il s'agissait d'une femelle, du Clan de l'Ombre. La chercha du regard, Lune Embrasée lança, d'une voix sèche :

- Sors de ta cachette, je sais que tu es là, guerrière de l'Ombre.

Sans bouger, elle attendit une réponse de l'intruse, se demandant ce qu'une ennemie pouvait bien faire ici.