La douce féline qu'était Jolie Pivoine se réveilla en même temps que le soleil. La partie de son antre qu'elle et son apprentie occupaient chaque nuit était baigné d'une douce lumière lilas, due aux cristaux d'améthyste qu'elle avait réussi à incrusté dans les parois rocheuses des murs de sa tanière. Elle adorait l'atmosphère qui y régnait. C'était très calme, apaisant. Aucun stress.

Si l'apprentie de Jolie Pivoine, Nuage Sanglant, avait passé la nuit sur sa litière de mousse au sol, la guérisseuse avait une couche toute autre. Au dessus du lit de son apprentie, elle avait encastré de grosses branches qui créaient une sorte de tablette, de deuxième étage. Une fois recouverte de mousse fraîche, cette installation devenait plus qu'accueillante et, les rares nuit où elle ne se faisait pas déranger, la chatte grise y faisait de fort beaux rêves. Parfois, même, le clan des Étoiles pouvait lui rendre visite. Cela arrivait plutôt fréquemment, mais cette nuit là, elle n'avait fait qu'un banal rêve. Son imagination s'était affairée à créer un scénario des plus étrange. Cependant, elle sentait, au fond d'elle, un petit quelque chose. Elle avait l'impression que ce simple rêve avait une signification particulière.

Elle, marchant aux bords du chemin du tonnerre, ramassant des pissenlits. Un peu machinalement. Était-ce elle qui ramassait les pissenlits ou quelqu'un d'autre ? Une apprentie du clan du Tonnerre renversée par un monstre. Le monstre se changeant en un immense cristal, une émeraude scintillante. L'apprentie du Tonnerre souriante. Elle n'est pas blessée.


À son réveil, donc, Jolie Pivoine se souvenait de l'image de l'immense cristal d'émeraude qui avait "sauvé l'apprentie", et les améthystes de son plafond illuminèrent les premières secondes de sa journée. Son pelage était doux et lustré, même au réveil. Qui a dit que les chats du clan de l'Ombre était malpropres ? Jolie Pivoine détestait ce genre de stéréotype dégoûtant. Elle n'avait presque pas l'odeur marécageuse des chats de son clan, puisqu'elle passait la plupart de son temps entourée de plantes plutôt que de chats. Elle soupira en pensant à toutes ces guerres, tous ces chats morts uniquement parce que leur fourrure avait une odeur de lapin plutôt que de poisson.

La femelle longiligne sauta en bas de sa couchette, se glissa en travers d'un doux rideau de lierre et retrouva son apprentie dans la pièce principale. Elle la salua et lui proposa une infusion fraîche de fraises et de menthe, question de commencer la journée du bon pied. Elle aimait profondément son apprentie et souhaitait transmettre à cette dernière toute la passion qu'elle avait pour son travail de guérisseuse. Aussi, intégrer de petits détails comme ces délicieuses infusions dans le quotidien pouvaient rendre le métier de soigneuse-herboriste plus agréable.

La guérisseuse entreprit la confection de leur breuvage matinal. Pour ce faire, elle commença par se faufiler, gracieuse silhouette grise, dans une légère fente au fond de la pièce. Là, un doux filet d'eau cristalline coulait, régulier. Quelques cristaux bleutés, des apatites, l'entouraient Trempés, ils étaient encore plus brillants, encore plus jolis. Sur le sol frais, aussi, quelques fleurs de myosotis de la même couleur que les cristaux étaient miraculeusement apparues. Jolie Pivoine ne les déterra pas, jugeant leur présence bénéfique. Ces plantes, elle le savaient, filtreraient l'air et le purifieraient, en plus d'embellir la petite source. Doucement, la guérisseuse trempa son museau gris-rose dans l'eau, les gouttelettes rafraichissantes lui tirèrent un sourire satisfait. Elle remplit une pierre creuse du liquide, revint avec le "bol", le laissa dans la pièce principale et sortit à l'extérieur.

Son antre avait une température régulière, il y faisait toujours frais, jamais froid. Lorsqu'elle sortit de la tanière, elle expérimenta le contraste. À l'extérieur, la chaleur et l'humidité se faisaient déjà sentir, mais comme le soleil venait tout juste de sortir, le sol, sous ses délicates pattes grises, était encore froid. Elle leva la tête vers le ciel. Il y aurait sûrement un orage ce soir là.

La guérisseuse grimpa agilement sur le toit de son antre et y cueillit des petites fraises des champs et de la menthe. Elle aimait cultiver elle-même ses remèdes. Cela était agréable, mais aussi fort utile, car elle sauvait tout le temps qu'elle aurait pris à aller les cueillir en forêt.

De retour dans son antre confortable, elle écrasa les fraises et émietta la menthe dans l'eau, puis lorsque le liquide eut prit suffisamment de goût, que le tout semblait bien infusé, elle filtra la boisson à laide de ses pattes délicates et offrit la moitié du délicieux breuvage à son apprentie.

Elle lapa le liquide, hydratant, propre, et sentit d'abord les saveurs sucrées et fraîches se répandre sur sa langue et dans son palais, pour ensuite le laisser, rose et délicat, se glisser dans sa gorge.

Tonifiée par ce pré-petit déjeuner, elle se rendit dans la troisième et dernière partie de l'antre, réservée aux chats malades dont elle et Nuage Sanglant prenaient soin. Elle constata que, contrairement à la pièce où elles dormaient, où à la pièce principale, la pièce des malades était particulièrement terne et sombre. Évidemment, la souffrance qui y régnait y était pour quelque chose. Mais ce n'était pas tout. Il manquait quelque chose.

Elle inclina la tête vers le plafond et le parcourut de son regard turquoise. Les pierres, les cristaux. Il n'y en avait pas dans cette importante pièce de son antre ! Convaincue que leur lumière bénéfique apaiserait les chats malades et les aiderait à guérir plus rapidement, elle sortit de la pièce avec l'ambition de leur dénicher des cristaux colorés. La chatte dont le pelage était imprégné d'une odeur mentholée quitta l'antre en annonçant à son apprentie qu'elles essaieraient désormais une nouvelle sorte de remède : la lumière des cristaux. Elle lui promit de revenir dans peu de temps et précisa qu'aucun malade n'était encore réveillé. Elle avait confiance en son apprentie. Aussi, elle se dit que la laisser seule, une demi-heure environ, ne ferait que lui donner confiance en ses capacités. Ou alors, elle constaterait qu'il lui manque des connaissances concernant une chose en particulier. À son retour, Jolie Pivoine répondrait à ses questions. Bref, la petite expédition de la guérisseuse n'avait que des points positifs !

Convaincue que son idée d'accroître les chances la guérison en améliorant l'ambiance et la lumière de la pièce réservée aux malades fonctionnerait, elle sortit dans la lumière matinale, le regard pétillant, et trottina, la tête haute, son regard turquoise déterminé, jusqu'à la sortie du camp.


Elle traversa ensuite les terres marécageuses de son clan, le lugubre clan de l'Ombre. Elle courait à travers le sombre paysage à une vitesse surprenante pour une guérisseuse, pas tant parce qu'elle était pressée mais plutôt par pur plaisir. Ses pattes étaient longues, agiles et robustes à la fois. Au fond de sa mémoire, Jolie Pivoine pouvait parfois retrouver de vagues souvenirs, des moments de son enfance dans les montagnes, vaguement. C'était ses origines qui lui donnaient son physique imposant, sa capacité à courir et bondir. Il faut dire que Jolie Pivoine était du genre infatigable, côté physique. Elle aurait certainement fait une excellente guerrière, mais son désir de paix universelle était trop fort et l'empêchait de commettre toute forme de violence, ce qui, somme toute, était plutôt positif. Ses pattes retournaient la terre humide, son doux pelage était balayé par une végétation particulière. De petites fleurs mauves, de longues herbes vertes. Si l'odeur des lieux était âcre et forte, on pouvait sentir, une fois de temps en temps, le parfum d'un pommier ou d'un framboisier. C'était le genre d'odeur qu'elle appréciait. Doux. Fruité. Léger. Elle aimait ce fumet bien plus que celui, imposant et intense des fleurs. Les fleurs étaient jolies (surtout les pivoines !), les fruits sentaient bon. À chacun ses qualités et ses défauts !

Lorsqu'elle traversa la barrière de pins et d'épinettes à la sève sucrée et gommante qui séparaient le terrain herbeux de son clan du chemin du Tonnerre, la guérisseuse tigrée frémit. L'odeur âcre, bien plus que celle de ses terres d'adoption, ne pouvait signifier qu'une seule chose : il y avait des monstres à proximité. Elle regarda plusieurs fois de chaque côté du chemin, alerte. Quand elle se décida enfin à y poser une patte, elle se souvint de la sensation atroce que ce type de sol infligeait à ses coussinets. Elle traversa la route en hâte, pour mettre fin à cet inconfort et pour éviter de se faire piétiner par une patte circulaire et monstrueuse. La chatte tigrée aperçut, au loin, l'ombre de quatre grands chênes.

Une odeur de grande plaine et de lapins chatouilla son museau d'un rose grisonnant. Elle marcha entre le territoire du clan du Vent et le chemin mortel, faisant bien attention de ne dépasser aucune des deux frontières qui l'entouraient. Des myosotis comme on en retrouvait dans la fente de son antre parsemaient le sol. Jolie Pivoine remarqua que l'herbe des terres du clan du Vent possédait un vert différent, plus clair, presque jaune, tandis que celle qu'on retrouvait sur son territoire était de couleur émeraude. Quand elle eût enfin fini de longer des buissons portant l'odeur de ses voisins, elle vit se dessiner un grand champ. Elle ne pût retenir un sourire de satisfaction. Elle y était. Enfin ! Elle trottina dans les hautes herbes, encore plus jaunes que celle des terres des mangeurs de lapins. Ces dernières lui chatouillèrent le visage, qu'elle secoua. Elle savait qu'elle trouverait du quartz rose en ces lieux, car un ancien lui avait déjà raconté une histoire à ce sujet, alors qu'elle n'était qu'un tout petit chaton, fraîchement débarqué dans le clan. C'était la première chose dont on lui avait parlé. Avant le code du guerrier, ou celui du guérisseur. Avant le clan des Étoiles lui-même. Avant de lui expliquer qu'ici, les apprentis portaient un nom de Nuage. On lui avait d'abord raconté cette magnifique, cette douce histoire. Elle s'en souviendrait toujours. Et lorsqu'elle vieillirait, alors elle la raconterait à son tour. Et petit à petit, cette histoire deviendrait une légende.